Je ne fonctionne pas comme la plupart des gens. Je ne suis pas linĂ©aire. Je ne suis pas constante. Je vis, jâaime et je crĂ©e en cycles, comme la Lune. Et cette façon dâexister dĂ©range souvent, parce quâelle ne rentre pas dans les cases de la sociĂ©tĂ©.Â
Quand je me retire, les gens pensent souvent que je fais la gueule, que je suis fĂąchĂ©e, ou que quelque chose ne va pas. Mais non. Si jâai un souci, je le dis. Je suis quelquâun dâhonnĂȘte. Je nâenvoie pas de signaux cachĂ©s. Je ne parle pas en silence.
Quand je me retire, câest pour respirer, pour digĂ©rer, pour intĂ©grer. Parce que je ressens tout, fort, profondĂ©ment, intensĂ©ment.
Je vis les Ă©motions Ă 200 %. Quand je vis quelque chose de beau, câest si intense que ça en devient presque brĂ»lant. Quand je tombe amoureuse, câest un raz-de-marĂ©e. Quand je crĂ©e, câest un torrent. Et comme tous les torrents, ça laisse des traces, de la beautĂ©, mais aussi du vide Ă remplir ensuite.
Jâai besoin de silence aprĂšs la tempĂȘte. Pas de distance Ă©motionnelle, non : de retour Ă soi. Mon retrait, câest ma maniĂšre dâintĂ©grer ce que jâai vĂ©cu. Câest mon repos, mon ancrage, ma digestion du monde.Â
On me dit souvent : âTu es spĂ©ciale.â Et câest vrai. Je ressens tout, Ă fond. Je vis chaque moment comme sâil Ă©tait unique, comme sâil devait me traverser entiĂšrement. Et câest magnifique. Mais câest aussi exigeant.
Quand jâai passĂ© trois jours dâamour, de rire, de proximitĂ©, de feu, jâen ressors pleine de joie, de gratitude, de lumiĂšre. Mais aussi vidĂ©e. Parce que jâai tout donnĂ©. Et je ne peux pas vivre cette intensitĂ© en permanence. Je ne veux pas. Je veux pouvoir savourer chaque expĂ©rience, pas la reproduire mĂ©caniquement.
Alors je mâaccorde des temps de silence. Des bulles de solitude oĂč le monde cesse de me traverser. Des moments oĂč je redeviens juste moi, dans mon cocon, sans sollicitation, sans attente. Câest ce qui me permet de rester entiĂšre, vraie, stable Ă ma maniĂšre.Â
Aux yeux de la sociĂ©tĂ©, ce fonctionnement lĂ est difficile Ă comprendre. Parce quâil Ă©chappe Ă la logique habituelle :
âSi elle se retire, câest quâelle sâĂ©loigne.â
âSi elle ne donne pas de nouvelles, câest que ça ne va pas.â
âSi elle ne vit pas avec sa compagne, câest quâil y a un problĂšme.â
Mais non. Ce nâest pas un problĂšme. Câest un rythme. Câest juste une autre maniĂšre dâaimer.
Et je le sais : cette diffĂ©rence rĂ©veille des peurs. La peur du manque. La peur du vide. La peur dâun amour qui ne se prouve pas tous les jours. La peur de lâautonomie de lâautre.
Quand les gens me disent :
âNon mais ça ne durera pas, câest une phase.â
âTu verras, un jour tu voudras quelque chose de stable.â
âTu crois que câest de lâamour, mais câest de la distance.â
Je souris. Parce que ces phrases nâont rien Ă voir avec moi. Elles parlent dâeux. De leur peur de la libertĂ©, de la solitude, du silence. De leur besoin de prouver pour se rassurer.
Lâamour nâa pas besoin dâĂȘtre expliquĂ©. Il a juste besoin dâĂȘtre vĂ©cu.Â
Ma maniĂšre dâaimer ne rentre pas dans le modĂšle classique. Je ne vis pas avec ma compagne. Parfois, je ne la vois pas pendant deux ou trois mois. On ne sâappelle pas tous les jours. On ne se raconte pas nos journĂ©es. Et pourtant, je nâai jamais Ă©tĂ© aussi amoureuse.
Parce que ce nâest pas la frĂ©quence qui nourrit notre lien, câest la qualitĂ© de prĂ©sence quand on se retrouve. Câest la confiance absolue dans le fait que lâautre fait ce quâelle doit faire, Ă son rythme, dans sa phase.
Quand đž est en pĂ©riode de travail intense, on Ă©change peu. Parfois juste un âbonjourâ et un âbonne nuitâ. Et câest ok. Parce que je sais quâelle mâaime, mĂȘme dans son silence. Et parce quâelle sait que je lâaime, mĂȘme dans le mien.
Et le jour oĂč je vais la retrouver Ă la gare, quand je la verrai descendre du train, il y aura des larmes dans mes yeux, parce que tout ce quâon nâa pas dit pendant des semaines, tout ce quâon a vĂ©cu sĂ©parĂ©ment, trouvera sa place dans une seule Ă©treinte.
Câest ça, notre maniĂšre dâaimer. Libre, vivante, confiante. Pas linĂ©aire, mais profonde.
On croit souvent quâaimer, câest ĂȘtre prĂ©sent tout le temps. Mais aimer, ce nâest pas sâĂ©puiser pour prouver sa loyautĂ©. Aimer, ce nâest pas sâoublier dans le processus.
Dans mes relations, quâelles soient amoureuses, amicales ou spirituelles , jâai appris quâil ne sert Ă rien de vouloir tout porter, tout donner, tout gĂ©rer.
Le polyamour, la parentalitĂ©, les liens intenses : tout demande de lâĂ©nergie. Et si on ne respire pas, on sature.
Câest normal dâavoir besoin de prendre du recul, de se recentrer, de passer du temps seule. Ce nâest pas un Ă©chec, câest de lâhygiĂšne relationnelle. Parce quâaimer les autres, câest aussi savoir sâaimer assez pour prĂ©server ce qui rend lâamour possible : soi.
Câest la mĂȘme chose dans mon travail. Je ne crĂ©e pas sur commande. Je crĂ©e quand câest juste. Quand lâĂ©nergie arrive, tout sort dâun coup : les idĂ©es, les textes, les visuels, les rituels. Parce quâavant, dans le silence, tout sâest prĂ©parĂ© sans bruit.
Je ne me force pas Ă produire : jâattends que ça naisse. Et câest ce qui fait que chaque crĂ©ation est alignĂ©e. Ce que je fais, je le fais parce que câest vivant. Et ce qui ne lâest plus, je le laisse mourir.
La sociĂ©tĂ© valorise la rĂ©gularitĂ©, la performance, la prĂ©sence continue. Moi, je valorise la vĂ©ritĂ©, lâĂ©lan, la sincĂ©ritĂ© du moment. Je prĂ©fĂšre disparaĂźtre trois semaines et revenir avec un projet qui me ressemble, que poster tous les jours des choses vides.
Je le sais : mon fonctionnement dĂ©range. Parce quâil ne peut pas ĂȘtre contrĂŽlĂ©. Parce quâil ne sâexplique pas. Parce quâil nâentre pas dans les modĂšles rassurants.
Alors les gens projettent : âElle se protĂšge.â âElle fuit.â âElle ne veut pas sâengager.â
Non. Je suis engagĂ©e : dans ma vĂ©ritĂ©. Je ne fuis pas : je respire. Je ne me protĂšge pas : je mâĂ©coute.
Et si je me retire, ce nâest pas parce que je tâen veux. Câest parce que je veux continuer Ă tâaimer sans me perdre. Je ne suis pas insaisissable. Je suis simplement libre.Â
Je suis faite de cycles, pas de constance. Je ne demande pas quâon me comprenne. Je demande quâon me croie quand je dis que je vais bien, mĂȘme quand je suis seule.
Je demande quâon me croie quand je dis que je nâai pas besoin dâĂȘtre lĂ tous les jours pour aimer. Que ma solitude nâest pas un mur, câest un temple.
Que mon silence nâest pas une punition, câest un souffle.
Je ne suis pas instable. Je suis lunaire. Je ne suis pas distante. Je suis cyclique. Je ne suis pas fermée. Je suis en mouvement.
Et si ma maniĂšre dâaimer, de vivre, de crĂ©er te dĂ©range, ce nâest pas parce quâelle est fausse. Câest peut-ĂȘtre parce quâelle tâoblige Ă regarder ce que tu nâoses pas tâautoriser : le droit dâexister Ă ton propre rythme.
Je le dis souvent en riant, mais câest vrai : vous ne voudriez pas de moi au quotidien. Je suis intense. Excessive, parfois. Je vis les choses Ă fond, jusquâĂ la derniĂšre goutte. Et pour beaucoup, câest Ă©puisant.
Une amie mâa dit un jour : « Tu mâĂ©puises. » Et jâai souri. Parce que câĂ©tait la phrase la plus juste quâon pouvait me dire.
Je suis Ă©puisante, oui, parce que je vis tout en grand. Je ressens fort, jâaime fort, je crĂ©e fort, je pense fort. Et personne ne peut supporter ça en continu, pas mĂȘme moi.
Câest pour ça que jâai besoin de mes retraits, de mes silences, de mes phases dâombre. Pas pour me cacher, mais pour recharger. Pour ne pas mâĂ©teindre Ă force de brĂ»ler trop fort.
Câest mon Ă©quilibre. Câest ma maniĂšre de durer.
Sur ma peau, la Lune sâunit Ă elle-mĂȘme. Parce que tout en moi existe par cycle, lâĂ©lan, le feu, le silence, la renaissance. Ce tatouage me rappelle que je ne suis jamais perdue, je suis simplement entre deux phases.Â
Je ne rentre pas dans les cases. Et je nâessaie plus. Je vis comme la Lune : changeante, vivante, entiĂšre. Je me retire, je reviens, je disparais, je rayonne. Et Ă chaque phase, je suis lĂ , juste autrement.
Je ne demande pas quâon me comprenne. Je demande quâon me croie quand je dis : Si je me retire, câest pour respirer, pas pour fuir.
Je suis intense, oui. Mais câest cette intensitĂ©-lĂ qui fait ma force, ma beautĂ©, ma sincĂ©ritĂ©. Et si parfois je tâĂ©puise, câest simplement parce que je vibre fort, et que pour vibrer Ă ce point, il faut bien, parfois, sâĂ©teindre un peu.
Longtemps, jâai cherchĂ© un sens Ă tout ça, Ă ma maniĂšre dâaimer, de ressentir, de crĂ©er. Jâai cru quâil fallait ĂȘtre plus stable, plus simple, plus âfacile Ă suivreâ. Et puis un jour, đž mâa regardĂ©e sans rien attendre, et mâa simplement dit :Â
âPeu importe comment tu changes, je tâaime quoi quâil arrive.â
Câest lĂ que jâai compris. Je nâavais pas besoin de me lisser pour ĂȘtre aimĂ©e. Je devais juste mâaimer assez pour exister pleinement.
GrĂące Ă elle, jâai cessĂ© de chercher. Et jâai commencĂ© Ă me trouver.
Un article du Journal Lunaire
Studio Fleur de Lune